Le marché des crédits immobiliers amorce un retournement. Remontée des taux et baisse de l’activité se conjuguent dans une conjoncture incertaine, marquée par le retour de l’inflation et l’émergence (historique) de taux réels négatifs.
Taux réels négatifs sur fond de ralentissement
Dès le printemps, tous les observateurs savaient à quoi s’en tenir : les taux de l’argent amorçaient leur remontée. Entre décembre 2021 et juin 2022, le taux moyen des crédits a augmenté de 46 points de base (pdb). C’est le reflet logique du conflit en Ukraine et des tensions qui s’en sont suivies sur les marchés de l’énergie et sur les marchés financiers. En juin, les emprunteurs ont payé en moyenne leur crédit immobilier entre 1,51% (neuf) et 1,52% (ancien). Au 2ème trimestre 2022, le taux moyen des crédits s’est établi à 1,40%.
Mais, notent les experts de L’Observatoire Crédit Logement / CSA, l’augmentation du coût de l’argent est bien moindre que la hausse de l’inflation (+184 pdb depuis décembre 2021) ou de l’OAT (Obligation Assimilable du Trésor) à dix ans (+201 pdb).
En juin, l’inflation est estimée à 3,91% en glissement annuel, selon l’Indice des Prix à la Consommation Harmonisé (IPCH). La déduction est évidente : les particuliers peuvent actuellement emprunter à des taux réels largement négatifs, phénomène inconnu depuis la fin des années 1950. Un emprunteur peut souscrire un prêt sur 20 ans à 1,49% en moyenne, alors que le rythme de l’inflation est actuellement à 4% !
Des taux bon marché, des durées exceptionnelles
L’effet d’aubaine actuel tient autant au faible niveau des taux d’intérêt qu’à la durée exceptionnelle des crédits accordés. En 2001 (il y a 21 ans), la durée moyenne des crédits était de 13,6 ans (163 mois). Au 2ème trimestre 2022, la durée moyenne des prêts accordés était de 239 mois et même de 244 mois à la mi-juillet. La variable de la durée amortit ainsi le choc de la remontée des taux, de la hausse des prix des logements et de l’augmentation des taux d’apport exigés. Grâce à cette combinaison, beaucoup d’emprunteurs peuvent respecter le seuil de 35% du taux d’effort exigé par les autorités publiques.
Au second trimestre, 65% des prêts bancaires à l’accession à la propriété ont été octroyés sur des durées comprises entre plus de 20 ans et 25 ans. La part des prêts courts (15 ans et moins) est tombée à un plancher historique de 13,6%.
Les jeunes, heureux bénéficiaires
L’allongement des durées des crédits immobiliers depuis 2019 est venu gommer les effets négatifs de plusieurs variables conjoncturelles : la hausse des prix de l’immobilier, le tour de visse du Haut conseil de stabilité financière (HCSF), la crise sanitaire liée au Covid…
Les jeunes emprunteurs (moins de 35 ans), souvent parmi les moins bien dotés en apport personnel, ont clairement identifié l’atout de la durée. Au second trimestre 2022, 78,3% d’entre eux ont recouru à des durées de 20 à 25 ans, contre 69% un an auparavant. De leur côté, deux tiers des 35-45 ans (68,4%) ont également sollicité des crédits sur 20-25 ans.
Grâce aux conditions de crédit actuelles, les jeunes peuvent rester très actifs sur le marché de l’immobilier. En 2022, les moins de 35 ans représentent 49,6% des emprunteurs, contre 47,3% un an plus tôt. Dans le neuf, ils représentent 50,5% des emprunteurs.
Modification de la demande
Suite aux aléas conjoncturels de ces deux dernières années, la structure du marché se modifie en défaveur des ménages les plus modestes, et en faveur des ménages plus aisés. On observe à la fois un accroissement de l’apport personnel moyen (16,8% en 2022 contre 11,9% en 2020), et une hausse du coût moyen des opérations réalisées, désormais de 4,8 années de revenus au second trimestre 2022. En revanche, l’indicateur de solvabilité de la demande est toujours orienté à la baisse.
Ralentissement de l’activité
Malgré des conditions de crédit très avantageuses pour les emprunteurs, l’activité du marché ralentit après plusieurs mois d’expansion.
Au second trimestre, la production de crédit baisse de 5,3% (contre +2,1% au second trimestre 2021) et le nombre de prêts accordés de -6,8%. En niveau trimestriel glissant, le nombre de prêt accordés est en recul de 9% à fin juin, en glissement annuel.
Ce ralentissement est sensible sur le marché du neuf, avec en juin, une baisse en glissement annuel de 11,5% pour la production (malgré une hausse du coût des opérations) et de 10,2% pour le nombre de prêts accordés. Dans l’ancien, la production de crédit a baissé de 19,5% au second trimestre 2022 et le nombre de prêts de 23% (en niveau annuel glissant).
L’accumulation de mauvaises passes (crise sanitaire, conflit en Ukraine, retour de l’inflation) a fini par peser sur le moral des ménages et enrayer la mécanique. Désormais, l’horizon est chargé de nuages, l’accélération de l’inflation et la montée des incertitudes préfigurant une possible remontée des taux aux alentours de 2% à la fin 2022.